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Le blog de Pierre Montmory

LE DROIT À LA PARESSE d'après Paul Lafargue

"Paressons en toutes choses, hormis en aimant et en buvant, hormis en paressant". Lessing

"Paressons en toutes choses, hormis en aimant et en buvant, hormis en paressant". Lessing

LE DROIT À LA PARESSE

Nouvelle version

Il m'arrive parfois de synthétiser les discours où les écrits de certains intellectuels qui parlent de leur tour d'ivoire... ainsi, dernièrement j'ai fait une nouvelle mouture pour le célèbre texte de Lafargue "Le droit à la paresse", je l'ai "actualisé" - ce qui donne un pamphlet explosif... j'ai enlevé le blabla et les références trop pointues ou historiques...

Qui apprend à l'homme qu'il est ici-bas pour souffrir et non cette autre philosophie qui dit au contraire à l'homme : « Jouis » : La morale de la classe bourgeoise incarne l'égoïsme féroce et l'intelligence étroite.

La bourgeoisie arbore le libre examen.

La tradition païenne glorifie la chair et ses passions.

La religion est gorgée de biens et de jouissances, elle renie les enseignements des penseurs, les Rabelais, les Diderot, et prêche l'abstinence aux salariés. La morale capitaliste, piteuse parodie de la morale religieuse, frappe d'anathème la chair du travailleur ; elle prend pour idéal de réduire le producteur au plus petit minimum de besoins, de supprimer ses joies et ses passions et de le condamner au rôle de machine délivrant du travail sans trêve ni merci.

Les philosophes et les pamphlétaires de la bourgeoisie ont à monter à l'assaut de la morale et des théories sociales du capitalisme ; ils ont à démolir, dans les têtes de la classe appelée à l'action, les préjugés semés par la classe régnante ; ils ont à proclamer, à la face des cafards de toutes les morales, que la terre cessera d'être la vallée de larmes du travailleur ; que, dans la société, nous fonderons pacifiquement les passions des hommes qui ont la bride sur le cou car « toutes sont bonnes de leur nature, nous n'avons rien à éviter que leur mauvais usage et leurs excès, et ils ne sont évités que par leur mutuel contre-balancement, que par le développement harmonique de l'organisme humain, car, « ce n'est que lorsqu'un humain atteint son maximum de développement physique qu'elle atteint son plus haut point d'énergie et de vigueur morale ». Telle était aussi l'opinion du grand naturaliste, Charles Darwin.

Paressons en toutes choses, hormis en aimant et en buvant, hormis en paressant. LESSING.

Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie trame à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis des siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l'amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu'à l'épuisement des forces vitales de l'individu et de sa progéniture. Au lieu de réagir contre cette aberration mentale, les religieux, les économistes, les moralistes, ont

sacro-sanctifié le travail. Hommes aveugles et bornés, hommes faibles et méprisables, ils veulent réhabiliter des prédications de leur morale religieuse et économique, aux épouvantables conséquences du travail dans la société capitaliste.

Dans la société capitaliste, le travail est la cause de toute dégénérescence intellectuelle, de toute déformation organique. Regardez les misérables servants de machines.

On veut retrouver la beauté native de l'homme. L'artiste se réjouit en admirant le hardi sauvage, brun comme des castagnes, droit et flexible comme une tige d'acier ; et le coeur de l'homme tressaille en entendant le mendiant, superbement drapé dans sa capa trouée, traiter d'ami des civilisés. L’animal primitif n'est pas atrophié, le travail est le pire des esclavages. Les Grecs de la grande époque n'avaient, eux aussi, que du mépris pour le travail : aux esclaves seuls il était permis de travailler : l'homme libre ne connaissait que les exercices corporels et les jeux de l'intelligence. C'était aussi le temps où l'on marchait et respirait dans un peuple d'Aristote, de Phidias, d'Aristophane; c'était le temps des braves.

Les explorateurs s'arrêtent étonnés devant la beauté physique et la fière allure des hommes des peuplades primitives, non souillés par ce que Pæppig appelait le «souffle empoisonné de la civilisation ». Parlant des aborigènes des îles océaniennes, lord George Campbell écrit : « Il n'y a pas de peuple au monde qui frappe davantage au premier abord. Leur peau unie et d'une teinte légèrement cuivrée, leurs cheveux dorés et bouclés, leur belle et joyeuse figure, en un mot toute leur personne formait un nouvel et splendide échantillon du genus homo ; leur apparence physique donne l'impression d'une race supérieure à la nôtre.

Les opprimés s'en vont chercher de l'humanité et un abri. La moderne civilisation capitaliste corrompe les libres du monde.

La propension des libres pour la paresse, les loisirs de la vie nomade, les habitudes de méditation qu'elles font naître chez les individus les mieux doués communiquent souvent à ceux-ci une distinction de manières, une finesse d'intelligence et de jugement qui se remarquent rarement au même niveau social dans une civilisation plus développée. Ce qui leur répugne le plus, ce sont les travaux agricoles ; ils font tout plutôt que d'accepter le métier d'agriculteur. « L'agriculture est, en effet, la première manifestation du travail servile dans l'humanité. Selon la tradition biblique, le premier criminel, Caïn, est un agriculteur. Le proverbe espagnol dit : Descansar es salud (se reposer est santé).

Les philosophes de l'antiquité enseignaient le mépris du travail, cette dégradation de l'homme libre ; les poètes chantaient la paresse, ce présent des Dieux : O Melibæ, Deus nobis hæc otia fecit. Christ, dans son discours sur la montagne, prêcha la paresse : « Contemplez la croissance des lis des champs, ils ne travaillent ni ne filent, et cependant, je vous le dis, Salomon, dans toute sa gloire, n'a pas été plus brillamment vêtu. » Jéhovah, le dieu barbu et rébarbatif, donna à ses adorateurs le suprême exemple de la paresse idéale ; après six jours de travail, il se reposa pour l'éternité.

Dans notre société, quelles sont les classes qui aiment le travail pour le travail ? Les paysans propriétaires, les petits bourgeois, les uns courbés sur leurs terres, les autres acoquinés dans leurs boutiques, se remuent comme la taupe dans sa galerie souterraine ; et jamais ne se redressent pour regarder à loisir la nature.

Et cependant, le prolétariat, tous les producteurs de la société civilisée, l'humanité du travail servile trahit ses instincts, s'est laissé pervertir par le dogme du travail. Rude et terrible est son châtiment.

Toutes les misères individuelles et sociales sont nées de sa passion pour le travail.

Dieu nous a donné cette oisiveté.

Tous les individus qui composent la société ont, par droit de naissance, le privilège d'être libres et indépendants.

Il est extrêmement dangereux d'encourager de pareils engouements dans un État commercial comme le nôtre où les sept huitièmes de la population n'ont que peu ou pas de propriété.

On prêche ouvertement le travail comme un frein aux nobles passions de l'homme.

Pour extirper la paresse et courber les sentiments de fierté et d'indépendance qu'elle engendre, douze heures de travail par jour, voilà l'idéal des philanthropes et des moralistes. Les ateliers modernes sont devenus des maisons idéales de correction où l'on incarcère les masses ouvrières, où l'on condamne aux travaux forcés pendant 12 et 14 heures, non seulement les hommes, mais les femmes et les enfants. Et dire que les fils des héros de la Terreur se sont laissés dégrader par la religion du travail au point d'accepter comme une conquête révolutionnaire, la loi qui limitait à huit heures le travail dans les fabriques ; ils proclament, comme un principe révolutionnaire, le droit au travail.

Des esclaves seuls sont capables d'une telle bassesse. Il faut la civilisation capitaliste pour concevoir un tel avilissement.

Et si les douleurs du travail forcé, si les tortures de la faim se sont abattues sur le prolétariat, plus nombreuses que les sauterelles de la Bible, c'est lui qui les a appelées.

Ce travail, que les travailleurs réclament les armes à la main, ils l'ont imposé à leurs familles ; ils ont livré, aux barons de l'industrie, leurs femmes et leurs enfants. De leurs propres mains, ils ont démoli leur foyer domestique ; de leurs propres mains, ils ont tari le lait de leurs femmes ; les malheureuses, enceintes et allaitant leurs bébés, doivent aller dans les mines et les manufactures tendre l'échine et épuiser leurs nerfs ; de leurs propres mains. Ils brisent la vie et la vigueur de leurs enfants. Honte aux travailleurs !

Où sont ces commères dont parlent nos fabliaux et nos vieux contes, hardies au propos, franches de la gueule, amantes de la dive bouteille ? Où sont ces luronnes, toujours trottant, toujours cuisinant, toujours chantant, toujours semant la vie en engendrant la joie, enfantant sans douleurs des petits sains et vigoureux ?... Nous avons aujourd'hui les filles et les femmes de fabrique, chétives fleurs aux pâles couleurs, au sang sans rutilance, à l'estomac délabré, aux membres alanguis.

Nous avons introduit quelques moyens de distraction pour les enfants. Nous leur apprenons à chanter pendant le travail, à compter également en travaillant : cela les distrait et leur fait accepter avec courage.

L'Académie des sciences morales et politiques n'auraient pu inventer un vice plus abrutissant pour l'intelligence des enfants, plus corrupteur de leurs instincts, plus destructeur de leur organisme que le travail dans l'atmosphère viciée de l'atelier capitaliste.

Notre époque est, dit-on, le siècle du travail ; il est en effet le siècle de la douleur, de la misère et de la corruption.

Et cependant, les philosophes, les économistes bourgeois, les gens de lettres bourgeois, le charlatanesquement romantique Victor Hugo, jusqu'au naïvement grotesque Paul de Kock, tous ont entonné les chants nauséabonds en l'honneur du dieu Progrès le fils aîné du Travail. À les entendre, le bonheur allait régner sur la terre : déjà on en sentait la venue. Ils allaient dans les siècles passés fouiller la poussière et la misère féodales pour rapporter de sombres repoussoirs aux délices des temps présents. - Nous ont-ils fatigués, ces repus, ces satisfaits, naguère encore membres de la domesticité des grands seigneurs, aujourd'hui valets de plume de la bourgeoisie, grassement rentés ; nous ont-ils fatigués ?

Qui propagea dans les masses les sottises de l'économie et de la morale bourgeoises ? Ces fleurs de la philanthropie et du républicanisme industriel.

Les travailleurs, il faut les voir arriver chaque matin en ville et partir chaque soir.

Ô misérable avortement des principes révolutionnaires de la bourgeoisie ! Ô lugubre présent de son dieu Progrès ! Les philanthropes acclament bienfaiteurs de l'humanité ceux qui, pour s'enrichir en fainéantant. Introduisez le travail et adieu joie, santé, liberté; adieu tout ce qui fait la vie belle et

digne d'être vécue. Et les économistes s'en vont répétant aux ouvriers : Travaillez pour augmenter la fortune sociale !

« Les nations pauvres, c'est là où le peuple est à son aise ; les nations riches, c'est là où il est ordinairement pauvre. »

« Les travailleurs eux-mêmes, en coopérant à l'accumulation des capitaux productifs, contribuent à l'événement qui, tôt ou tard, doit les priver d'une partie de leur salaire.»

Mais, assourdis et idiotisés par leurs propres hurlements, les économistes de répondre : Travaillez, travaillez toujours pour créer votre bien-être !

Travaillez, travaillez nuit et jour ; en travaillant, vous faites croître votre misère, et votre misère nous dispense de vous imposer le travail par la force de la loi. L'imposition légale du travail « donne trop de peine, exige trop de violence et fait trop de bruit ; la faim, au contraire, est non seulement une pression paisible, silencieuse, incessante, mais comme le mobile le plus naturel du travail et de l'industrie, elle provoque aussi les efforts les plus puissants »

Travaillez, travaillez, prolétaires, pour agrandir la fortune sociale et vos misères individuelles, travaillez, travaillez, pour que, devenant plus pauvres, vous ayez plus de raisons de travailler et d'être misérables. Telle est la loi inexorable de la production capitaliste.

Parce que, prêtant l'oreille aux fallacieuses paroles des économistes, les prolétaires se sont livrés corps et âme au vice du travail.

Ce sont là des vertus capitalistes s'harmonisant à ravir avec toutes les convictions politiques et religieuses.

Combien dégénérés sont les prolétaires modernes pour accepter en patience les épouvantables misères du travail.

La société est toute entière dans ces crises industrielles de surproduction qui convulsent l'organisme social. Alors, parce qu'il y a pléthore de marchandises et pénurie d'acheteurs, les ateliers se ferment et la faim cingle les populations ouvrières de son fouet aux mille lanières. Les prolétaires, abrutis par le dogme du travail, ne comprenant pas que le surtravail qu'ils se sont infligé pendant le temps de prétendue prospérité est la cause de leur misère présente, au lieu de courir au grenier à blé et de crier : « Nous avons faim et nous voulons manger »!

Vrai, nous n'avons pas un rouge liard, mais tous gueux que nous sommes, c'est nous cependant qui avons moissonné le blé et vendangé le raisin ! Au lieu d'assiéger les magasins!

Au lieu de profiter des moments de crise pour une distribution générale des produits et un gaudissement universel, les ouvriers, crevant de faim, s'en vont battre de leur tête les portes de l'atelier. Avec des figures hâves, des corps amaigris, des discours piteux, ils assaillent les fabricants: « Donnez-nous du travail, ce n'est pas la faim, mais la passion du travail qui nous tourmente ! » Et les philanthropes de l'industrie de profiter des chômages pour fabriquer à meilleur marché.

Si les crises industrielles suivent les périodes de surtravail aussi fatalement que la nuit le jour, traînant après elles le chômage forcé et la misère sans issue, elles amènent aussi la banqueroute inexorable. Tant que le fabricant a du crédit, il lâche la bride à la rage du travail, il emprunte et emprunte encore pour fournir la matière première aux ouvriers. Il fait produire, sans réfléchir

« Un petit peu d'or fait mon affaire, répond Rothschild.

Enfin la débâcle arrive et les magasins dégorgent; on jette alors tant de marchandises par la fenêtre, qu'on ne sait comment elles sont entrées par la porte.

Les fabricants parcourent le monde en quête de débouchés pour les marchandises qui s'entassent; ils forcent les gouvernements à s'annexer des Congo, à s'emparer des Tonkin, à démolir à coups de canon les murailles de la Chine, pour y écouler leurs cotonnades.

Aux siècles derniers, c'était un duel à mort entre la France et l'Angleterre, à qui aurait le privilège exclusif de vendre en Amérique et aux Indes. Des milliers d'hommes jeunes et vigoureux ont rougi de leur sang les mers, pendant les guerres coloniales.

Les capitaux abondent comme les marchandises. Les financiers ne savent plus où les placer ; ils vont alors chez les nations heureuses qui lézardent au soleil en fumant des cigarettes, poser des chemins de fer, ériger des fabriques et importer la malédiction du travail. Et cette exportation de capitaux français se termine un beau matin par des complications diplomatiques : et ils sont alors sur le point de se prendre aux cheveux pour savoir quels usuriers seraient payés les premiers ; par des guerres l'on envoie les soldats faire le métier d'huissier pour recouvrer de mauvaises dettes Ces misères individuelles et sociales, pour grandes et innombrables qu'elles soient, pour éternelles qu'elles paraissent, s'évanouiront comme les

hyènes et les chacals à l'approche du lion quand le travailleur dira : « Je le veux ». Mais pour qu'il parvienne à la conscience de sa force, il faut que le prolétariat foule aux pieds les préjugés de la morale religieuse, économique; il faut qu'il retourne à ses instincts naturels, qu'il proclame les

Droits de la paresse, mille et mille fois plus nobles et plus sacrés que les phtisiques Droits de l'homme, concoctés par les avocats métaphysiciens de la bourgeoisie de la révolution. Ils se contraignent à ne travailler que trois heures par jour, à fainéanter et bombancer le reste de la journée et de la nuit.

La parole qu'on a inoculée aux travailleurs est perverse, le travail effréné auquel il se livre est le plus terrible fléau qui ait jamais frappé l'humanité.

Étant donné les moyens de production modernes et leur puissance reproductive illimitée, il faut mater la passion extravagante des ouvriers pour le travail et les obliger à consommer les marchandises qu'ils produisent.

Hélas ! Les loisirs que le poète païen annonçait ne sont pas venus ; la passion aveugle, perverse et homicide du travail transforme la machine libératrice en instrument d'asservissement des hommes libres : sa productivité les appauvrit.

À mesure que la machine se perfectionne et abat le travail de l'homme avec une rapidité et une précision sans cesse croissantes, l'ouvrier, au lieu de prolonger son repos d'autant, redouble d'ardeur, comme s'il voulait rivaliser avec la machine. Oh ! Concurrence absurde et meurtrière !

Pour que la concurrence de l'homme et de la machine prît libre carrière, les prolétaires ont aboli les sages lois qui limitaient le travail des artisans des antiques corporations ; ils ont supprimé les jours fériés.

Les libres ont des loisirs pour goûter les joies de la terre, pour faire l'amour et rigoler ; pour banqueter joyeusement en l'honneur du réjouissant dieu de la Fainéantise.

Rabelais, Quevedo, Cervantès, les auteurs inconnus des romans picaresques, nous font venir l’eau à la bouche avec leurs peintures de ces monumentales ripailles dont on se régalait alors entre deux batailles et deux dévastations, et dans lesquelles tout « allait par écuelles ». Jordaens et l'école flamande les ont écrites sur leurs toiles réjouissantes. Sublimes estomacs gargantuesques, qu'êtes-vous devenus ? Sublimes cerveaux qui encerclent toute la pensée humaine, qu'êtes-vous devenus? Nous sommes bien amoindris et bien dégénérés.

Aujourd'hui : le travail consiste à développer la prostitution et marchandiser son corps pour donner un but au labeur que s'imposent les travailleurs. À ce métier, l'organisme se délabre rapidement, les cheveux tombent, les dents se déchaussent, le tronc se déforme, le ventre s'entripaille, la respiration s'embarrasse, les mouvements s'alourdissent, les articulations s'ankylosent, les phalanges se nouent. D'autres, trop malingres pour supporter les fatigues de la débauche, dessèchent leur cervelle à élucubrer de gros livres soporifiques d’économie politique, de philosophie juridique pour occuper les loisirs des compositeurs et des imprimeurs.

Les femmes du monde vivent une vie de martyr. Pour essayer et faire valoir les toilettes féeriques que les couturières se tuent à bâtir, du soir au matin elles font la navette d'une robe dans une autre ; pendant des heures, elles livrent leur tête creuse aux artistes capillaires qui, à tout prix, veulent assouvir leur passion pour l'échafaudage des faux chignons. Sanglées dans leurs corsets, à l'étroit dans leurs bottines, décolletées à faire rougir un sapeur, elles

tournoient des nuits entières dans leurs bals de charité afin de ramasser quelques sous pour le pauvre monde. Saintes âmes !

Pour remplir sa double fonction sociale de non producteur et de sur-consommateur, le bourgeois doit non seulement violenter ses goûts modestes, perdre ses habitudes laborieuses et se livrer au luxe effréné, aux indigestions truffées et aux débauches syphilitiques, mais encore soustraire au travail productif une masse énorme d'hommes afin de se procurer des aides.

Une fois accroupie dans la paresse absolue et démoralisée par la jouissance forcée, la bourgeoisie s'accommode de son nouveau genre de vie. Avec horreur elle envisagea tout changement.

Le travailleur arbore la devise : Qui ne travaille pas, ne mange pas et déclare le soulèvement : la Révolution du travail.

À ces déchaînements de fureur barbare, destructive de toute jouissance et de toute paresse bourgeoises, les capitalistes ne peuvent répondre que par la répression féroce, mais ils savent que, s’ils peuvent comprimer ces explosions révolutionnaires, ils n'ont pas noyé dans le sang de leurs massacres gigantesques l'absurde idée du prolétariat de vouloir infliger le travail aux classes oisives et repues, et c'est pour détourner ce malheur qu'ils s'entourent de prétoriens, de policiers, de magistrats, de geôliers entretenus dans une improductivité laborieuse. On ne peut plus conserver d'illusion sur le caractère des armées modernes, elles ne se sont maintenues en permanence que pour comprimer « l'ennemi intérieur » ; c'est ainsi que les « Pentagone » n'ont pas été construits pour défendre le pays contre l'étranger, mais pour l'écraser en cas de révolte. L’armée est

plus forte proportionnellement à la population.

Les nations européennes n'ont pas des armées nationales, mais des armées mercenaires, elles protègent les capitalistes contre la fureur populaire.

Donc, en se serrant le ventre, la classe ouvrière a développé outre mesure le ventre de la bourgeoisie condamnée à la surconsommation. Pour être soulagée dans son pénible travail, la bourgeoisie a retiré de la classe ouvrière une masse d'hommes de beaucoup supérieure à celle qui restait consacrée à la production utile, et l'a condamnée à son tour à l'improductivité et à la surconsommation. Mais ce troupeau de bouches inutiles, malgré sa voracité insatiable, ne suffit pas à consommer toutes les marchandises que les ouvriers, abrutis par le dogme du travail, produisent comme des maniaques, sans vouloir les consommer, et sans même songer si l'on trouvera des gens pour les consommer.

En présence de cette double folie des travailleurs, de se tuer de surtravail et de végéter dans l'abstinence, le grand problème de la production capitaliste n'est plus de trouver des producteurs et de décupler leurs forces, mais de découvrir des consommateurs, d'exciter leurs appétits et de leur créer des besoins factices.

Mais tout est impuissant : bourgeois qui s’empiffre, classe domestique qui dépasse la classe productive, nations étrangères et barbares que l'on engorge de marchandises européennes ; rien, rien ne peut arriver à écouler les montagnes de produits qui s'entassent plus hautes et plus énormes que les pyramides d'Égypte : la productivité des ouvriers défie toute consommation, tout gaspillage. Les fabricants, affolés, ne savent plus où donner de la tête ils ne peuvent plus trouver la matière première pour satisfaire la passion désordonnée, dépravée, de leurs ouvriers pour le travail.

Tous nos produits sont adultérés pour en faciliter l'écoulement et en abréger l'existence. Notre époque sera appelée l'âge de la falsification, comme les premières époques de l'humanité ont reçu les noms d'âge de pierre, d'âge de bronze, du caractère de leur production. Des ignorants accusent de fraude nos pieux industriels, tandis qu'en réalité la pensée qui les anime est de fournir du travail aux ouvriers, qui ne peuvent se résigner à vivre les bras croisés. Ces falsifications, qui ont pour unique mobile un sentiment humanitaire, mais qui rapportent de superbes profits aux fabricants qui les pratiquent, si elles sont désastreuses pour la qualité des marchandises, si elles sont une source intarissable de gaspillage du travail humain, prouvent la philanthropique ingéniosité des bourgeois et l'horrible perversion des ouvriers qui, pour assouvir leur vice de travail, obligent les industriels à étouffer les cris de leur conscience et à violer même les lois de l'honnêteté commerciale.

Et cependant, en dépit de la surproduction de marchandises, en dépit des falsifications industrielles, les ouvriers encombrent le marché innombrablement, implorant : du travail ! Du travail ! Leur surabondance devrait les obliger

à refréner leur passion ; au contraire, elle la porte au paroxysme.

Abêtis par leur vice, les ouvriers ne peuvent s'élever à l'intelligence de ce fait que, pour avoir du travail pour tous, il fallait le rationner comme l'eau sur un navire en détresse. Cependant les industriels, au nom de l'exploitation capitaliste, ont depuis longtemps demandé une limitation légale de la journée de travail et la production moyenne,

loin d'avoir diminué, a augmenté.

Ah ! comme des perroquets d'Arcadie les travailleurs répètent la leçon des économistes : « Travaillons, travaillons pour accroître la richesse nationale. » Ô idiots !

Le droit à la paresse : les travailleurs s'assoient et apprennent à se tourner les pouces. Les bienheureux se livrent à l'amour libre sans craindre les coups de pied de la Vénus civilisée et les sermons de la morale. Ils mangeront de joyeux biftecks d'une ou deux livres ; au lieu de boire

modérément du mauvais vin, elle boira à grandes

et profondes rasades du bordeaux, du bourgogne, sans baptême industriel, et laissera l'eau aux bêtes.

Les Rothschild, les Say sont admis à faire la preuve d'avoir été, leur vie durant, de parfaits vauriens et s'ils jurent vouloir continuer à vivre en parfaits vauriens, malgré l'entraînement général pour le travail, ils seront mis en carte et, à leurs mairies respectives, ils recevront tous les matins une pièce de vingt francs pour leurs menus plaisirs. Les discordes sociales s'évanouiront. Les rentiers, les capitalistes, tous les premiers, se rallieront au parti populaire, une fois convaincus que, loin de leur vouloir du mal, on veut au contraire les débarrasser du travail de surconsommation et de gaspillage dont ils ont été accablés dès leur naissance. Quant aux bourgeois incapables de prouver leurs titres de vauriens, on les laissera suivre leurs instincts : il existe suffisamment de métiers dégoûtants pour les caser – Les présidents nettoieront les latrines publiques, les ministres chourineront les cochons galeux et les chevaux forcineux, les fonctionnaires marqueront les bœufs et les moutons à abattre ; les sénateurs, attachés aux pompes funèbres,

joueronnt les croque-morts. Pour d'autres, on trouverait des métiers à portée de leur intelligence : les industriels boucheronnt les bouteilles de champagne, mais on les musellera pour les empêcher de s'enivrer ; le militaires détruiront les punaises et les vermines des ministères et autres auberges publiques. Il faudra cependant mettre les deniers publics hors de la portée des bourgeois, de peur des habitudes acquises.

Mais dure et longue vengeance on tirera des moralistes qui ont perverti l'humaine nature, des cagots, des cafards, des hypocrites et autres telles sectes et religions de gens qui se sont déguisés pour tromper le monde.

Aux jours de grandes réjouissances populaires, où, au lieu d'avaler de la

poussière aux 14 juillet du bourgeoisisme, les communistes

et les collectivistes feront aller les flacons, trotter les jambons et voler les gobelets, les membres de l'Académie des sciences morales et politiques, les religieux à longue et courte robe de l'église économique, catholique, protestante, musulmane, juive, positiviste et libre penseuse, les propagateurs du malthusianisme et de la morale religieuse, altruiste, indépendante ou soumise, vêtus de jaune, tiendront la chandelle à s'en brûler les doigts et vivront en famine auprès des femmes et des tables chargées de viandes, de fruits et de fleurs, et mourront de soif auprès des tonneaux débondés. Quatre fois l'an, au changement des saisons, ainsi que les chiens, on les enfermera dans les grandes roues et pendant dix heures on les condamnera à moudre du vent. Les avocats et les légistes subiront la même peine.

En régime de paresse, pour tuer le temps qui nous tue seconde par seconde, il y aura des spectacles et des représentations théâtrales toujours et toujours ; c'est de l'ouvrage tout trouvé pour nos bourgeois législateurs. On les organisera par bandes courant les foires et les villages, donnant des représentations législatives. Les généraux, en bottes à l'écuyère, la poitrine chamarrée d'aiguillettes, de crachats, de croix de la Légion d'honneur, iront par les rues et les places, racolant les bonnes gens. De Gaulle et Che Guevarra, son compère, feront le boniment de la porte. Mao, en grand costume de matamore, roulant des yeux, tordant la moustache, crachant de l'étoupe enflammée, menacera tout le monde du pistolet de son père et s'abîmera dans un trou dès qu'on lui montrera le portrait de Hitler ; Hollande discourra sur la politique étrangère, sur la petite Grèce qui l'endoctorise et mettra l'Europe en feu pour filouter la Turquie ; sur la grande Russie qui le stultifie avec la compote qu'elle promet de faire avec la Prusse et qui souhaite à l'ouest de l'Europe plaies et bosses pour faire sa pelote à l'Est et étrangler le nihilisme à l'intérieur ; monsieur Ducon, qui a été assez bon pour lui permettre de se prononcer sur l'amnistie puis, dénudant sa large bedaine peinte aux trois couleurs, il battra dessus le rappel et énumérera les délicieuses petites bêtes, les ortolans, les truffes, les verres de Margaux et d'Yquem qu'il y a engloutonnés pour encourager l'agriculture et tenir en liesse les électeurs de Belleville.

Dans la baraque, on débutera par la Farce électorale.

Devant les électeurs à têtes de bois et oreilles d'âne, les candidats bourgeois, vêtus en paillasses, danseront la danse des libertés politiques, se torchant la face et la postface avec leurs programmes électoraux aux multiples promesses, et parlant avec des larmes dans les yeux des misères du peuple et avec du cuivre dans la voix des gloires de la nation ; et les têtes des électeurs de braire en chœur et solidement: hi han ! hi han !

Puis commencera la grande pièce : Le Vol des biens de la nation.

La société capitaliste, énorme femelle, velue de la face et chauve du crâne, avachie, aux chairs flasques, bouffies, blafardes, aux yeux éteints, ensommeillée et bâillant, s'allonge sur un canapé de velours ; à ses pieds, le Capitalisme industriel, gigantesque organisme de fer, à masque simiesque, dévore niquement des hommes, des femmes, des enfants, dont les cris lugubres et déchirants emplissent l'air ; la Banque à museau de fouine, à corps de hyène et mains de harpie, lui dérobe prestement les pièces de cent sous de la poche. Des hordes de misérables prolétaires décharnés, en haillons, escortés de gendarmes, le sabre au clair, chassés par des furies les cinglant avec les fouets de la faim, apportent aux pieds de la nation capitaliste des monceaux de marchandises, des barriques de vin, des sacs d'or et de blé. Obama, sa culotte

d'une main, le testament de Staline de l'autre, le livre du budget entre les dents, se campe à la tête des défenseurs des biens de la nation et monte la garde. Les fardeaux déposés, à coups de crosse et de baïonnette, ils font chasser les ouvriers et ouvrent la porte aux industriels, aux commerçants et aux banquiers. Pêle-mêle, ils se précipitent sur le tas, avalant des cotonnades, des sacs de blé, des lingots d'or, vidant des barriques ; n'en pouvant plus, sales, dégoûtants, ils s'affaissent dans leurs ordures et leurs vomissements...

Alors le tonnerre éclate, la terre s'ébranle et s'entrouvre, la fatalité historique surgit; de son pied de fer elle écrase les têtes de ceux qui hoquettent, titubent, tombent et ne peuvent plus fuir, et de sa large main elle renverse la société capitaliste, ahurie et suante de peur.

Si, déracinant de son coeur le vice qui la domine et avilit sa nature, la classe ouvrière se levait dans sa force terrible, non pour réclamer les Droits de l'Homme, qui ne sont que les droits de l'exploitation capitaliste, non pour réclamer le Droit au travail qui n'est que le droit à la misère, mais pour forger

une loi d'airain, défendant à tout homme de travailler plus de trois heures par jour, la Terre, la vieille Terre, frémissant d'allégresse, sentirait bondir en elle un nouvel univers... Mais comment demander à un prolétariat corrompu par la morale capitaliste une résolution virile ?

Comme le Christ, la dolente personnification de l'esclavage antique, les hommes, les femmes, les enfants du Prolétariat gravissent péniblement depuis des siècles le dur calvaire de la douleur : depuis des siècles, le travail forcé brise leurs os, meurtrit leurs chairs, tenaille leurs nerfs ; depuis un siècle, la faim tord leurs entrailles et hallucine leurs cerveaux !...

Ô Paresse, prends pitié de notre longue misère !

Ô Paresse, mère des arts et des nobles vertus, sois le baume des angoisses humaines !

Nos moralistes sont gens bien modestes ; s'ils ont inventé le dogme du travail, ils doutent de son efficacité pour tranquilliser l'âme, réjouir l'esprit et entretenir le bon fonctionnement des reins et autres organes ; ils veulent en expérimenter l'usage sur le populaire, in anima vili, avant de le tourner contre les capitalistes, dont ils ont mission d'excuser et d'autoriser les vices.

Quiconque donne son travail pour de l'argent se vend lui-même et se met au rang des esclaves.

Prolétaires, abrutis par le dogme du travail, entendez-vous le langage de ces philosophes, que l'on vous cache avec un soin jaloux.

La tartuferie religieuse et l'utilitarisme capitaliste n'ont pas perverti ces philosophes ; professant pour des hommes libres, ils parlaient naïvement leur pensée.

« Le travail emporte tout le temps et avec lui on n'a nul loisir pour les amis ».

Mais la morale religieuse et capitaliste préconise l'esclavage.

Les moralistes et les économistes du capitalisme préconisent le salariat, l'esclavage moderne ? Et à quels hommes l'esclavage capitaliste fait-il des loisirs ? - À des Rothschild, à des inutiles et nuisibles, esclaves de leurs vices et de leurs domestiques.

Pierre Montmory – traducteur – arrangeur - 2015

(D’après « Le droit à la paresse » de Paul Lafargue)

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